Nov 24. Le rapport de J.P. Morgan sur la Tunisie

30/11/2024

En tant que conseiller en stratégie auprès des gouvernements, j'ai souhaité partager ici mon analyse éclairée du rapport de J.P. Morgan sur l'économie tunisienne, intitulé : EMOS - Tunisia - Benign CA but slow fiscal adjustment.

Ce rapport, publié le 26 novembre 2024, offre un éclairage précis sur les défis et opportunités économiques de la Tunisie. Dans un contexte de pressions externes, d'accès limité aux financements internationaux et de réformes structurelles encore timides, il met en avant une résilience notable de l'économie tunisienne. Cependant, cette résilience repose sur des choix stratégiques qui méritent une réflexion approfondie. À travers cette analyse, je m'efforcerai de déceler les forces, les faiblesses et les pistes d'amélioration suggérées pour renforcer la trajectoire économique du pays. Mon objectif est d'apporter une vision pragmatique et constructive pour inspirer un débat informé et des décisions éclairées.

Le rapport de J.P. Morgan sur la Tunisie fournit une évaluation complète des défis et des opportunités auxquels le pays fait face dans son contexte économique actuel. Voici les points clés et une analyse critique :

1. Résilience malgré les contraintes externes

Le rapport souligne que, malgré un accès limité aux financements extérieurs et l'absence de programme avec le FMI, la Tunisie a su honorer ses obligations de dette et maintenir des réserves relativement stables. Cela témoigne d'une gestion prudente, mais il est important de noter que cette résilience repose en grande partie sur des financements domestiques, ce qui pourrait augmenter les pressions sur les banques locales et la dette intérieure.

Cela dit, la dépendance croissante au financement domestique peut s'avérer risquée à moyen terme, surtout si la situation économique globale ou la liquidité bancaire se détériorent. Il manque dans le rapport une analyse approfondie des risques liés à cette stratégie.

2. Réduction lente du déficit budgétaire

Le déficit budgétaire est prévu à 5,7 % du PIB en 2025, en baisse par rapport à 6,4 % en 2024. Cependant, le maintien des subventions à un niveau élevé (6,6 % du PIB) reflète une difficulté à réformer ce poste budgétaire important. Les salaires publics stagnent en termes réels, suggérant une maîtrise des dépenses dans ce domaine, mais cela pourrait également alimenter des tensions sociales.

Mais bien que la réduction du déficit soit un progrès, le manque de réformes structurelles sur les subventions reste préoccupant. Cela limite la marge de manœuvre budgétaire et pourrait compliquer la conclusion d'accords avec des institutions comme le FMI.

3. Croissance économique modeste

La croissance prévue pour 2025 (1,6 %) reste faible, alignée avec celle de 2024. La demande européenne affaiblie et les défis structurels dans le secteur manufacturier sont des freins majeurs. Bien que le secteur agricole montre des signes de reprise, cela ne suffira pas à stimuler une croissance significative.

L'absence d'une stratégie claire pour diversifier l'économie ou accroître la compétitivité des exportations est un point faible. Une plus grande attention aurait pu être portée aux moyens d'améliorer l'attractivité de la Tunisie pour les investissements directs étrangers.

4. Inflation et politique monétaire

L'inflation devrait baisser de 7,1 % en 2024 à 6,2 % en 2025, ce qui offre une opportunité pour la Banque Centrale de Tunisie (BCT) de réduire ses taux d'intérêt. Cela pourrait soulager le secteur privé, mais la persistance des déficits primaires risque de maintenir une pression élevée sur les coûts d'emprunt.

Par ailleurs même si la politique monétaire semble adaptée, la lutte contre l'inflation pourrait être compromise si des chocs externes (comme des hausses des prix des matières premières) survenaient. Une analyse de scénarios alternatifs aurait enrichi le rapport.

5. Pressions externes et balance des paiements

La balance des paiements semble sous contrôle, avec un compte courant déficitaire mais gérable (2,1 % du PIB en 2024, 2,5 % en 2025). Les recettes provenant de l'huile d'olive et du tourisme ont joué un rôle clé, mais la baisse des prix de l'huile d'olive et une demande européenne plus faible pourraient dégrader ces performances à l'avenir.

Le rapport aurait pu explorer davantage les risques liés à la dépendance à ces secteurs spécifiques et proposer des pistes pour diversifier les sources de devises étrangères.

Si nous souhaiterions adopter une approche réaliste, nous pouvons dire que le rapport de J.P. Morgan présente une vision globalement optimiste mais prudente de la situation économique de la Tunisie. La résilience économique du pays et la gestion prudente des finances publiques sont des points positifs notables. Cependant, plusieurs défis structurels persistent :

  1. La lenteur des réformes, notamment sur les subventions, freine la consolidation fiscale.
  2. La dépendance accrue au financement domestique augmente les risques pour le secteur financier local.
  3. Une croissance économique insuffisante pourrait limiter les améliorations sociales et budgétaires.
  4. Une meilleure stratégie de diversification économique est nécessaire pour réduire la vulnérabilité aux chocs externes.

La Tunisie est sur une trajectoire de stabilisation, mais elle doit accélérer ses réformes pour garantir une croissance durable et réduire les vulnérabilités. Le rapport reflète bien ces dynamiques, bien qu'il sous-estime certains risques, notamment liés au financement domestique et à la faible diversification économique. Une approche plus proactive et innovante dans les réformes économiques serait essentielle pour renforcer les perspectives à long terme.


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